Dialogisme, acquisition, pathologies du langage et approches socio-interactionnistes
2-3 juin 2022 Paris (France)
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RésumésVous trouverez ci-dessous les résumés des communications qui seront offertes lors du colloque DIAPASO. Le livret est aussi téléchargeable au format PDF en cliquant ici : Livret résumés DiapASO Mehmet-Ali AKINCI & Régine DELAMOTTE Université de Rouen NormandieDyLiS, UR 7474Une double approche de l'acquisition du langage au croisement des théories monolingues et plurilingues Comme l’a exposé Anne Salazar Orvig, le développement langagier des enfants a donné lieu à un foisonnement d’approches théoriques diverses, des plus contradictoires aux plus complémentaires (Salazar Orvig, 2019). La présente contribution a ainsi pour objet la rencontre de deux approches. Partie des positions fonctionnaliste et interactionniste en acquisition du langage par l’enfant, puis sociolinguistique par la prise en compte de la variation langagière du français, Régine Delamotte a rencontré, dans la suite de ses recherches et dans sa collaboration avec Mehmet-Ali Akinci, les questionnements liés au développement langagier des enfants bi-plurilingues. Pour Mehmet-Ali Akinci, suivant un cheminement inverse, le point de départ des recherches a porté sur le développement du langage des enfants bilingues dans une perspective psycholinguistique, suivi de travaux intéressant les contextes d’immigration dans une perspective sociolinguistique. Sa collaboration avec Régine Delamotte l’a amené à s’intéresser aux théories acquisitionnistes générales dans leur diversité et leurs confrontations. Leur rencontre au sein du laboratoire rouennais a produit des travaux comparatifs entre développements monolingue et plurilingue, en particulier sur divers aspects du développement tardif (complexité syntaxique, richesse lexicale, compétences narratives, littératie). Elle les a aussi conduits à traiter la problématique de la rééducation du langage sous l’angle peu travaillé du métier d’orthophoniste face au plurilinguisme. Leur communication sera l’occasion de confronter leurs cheminements aux positionnements d’Anne Salazar Orvig avec laquelle ils ont l’un comme l’autre travaillé. Ils développeront les points de convergence et ceux, objets de questionnement, pouvant constituer des apports nouveaux aux recherches sur le développement langagier des enfants, en référence aux notions mobilisées de part et d’autre et à l’aide d’exemples. Références
Anne-Lise Bénain & Roxane Perrin Hennebelle Université Sorbonne NouvelleCLESTHIA, EA 7345“Tu l’as vu toi Star Wars?” : exploration d’un échange conversationnel entre une orthophoniste et un garçon autiste de 10 ans Le rôle de l’environnement social et de l’interaction constitue un organisateur important du champ de l’acquisition du langage. Les différentes facettes de cette dimension sociale et interactive sont au cœur de l’approche socio-interactionniste : le fondement communicationnel du langage, l’expérience communicative, le langage adressé à l’enfant, plus particulièrement les actes langagiers de l’adulte et l'étayage ainsi que les propriétés du dialogue (Salazar Orvig, 2019). Pour devenir un locuteur compétent, l’enfant doit maîtriser les règles sous-jacentes à la conversation. Lui et son partenaire ont à s'accommoder pour trouver comment converger vers un intérêt commun. Leurs mouvements respectifs doivent s'inscrire dans l’alternance des tours de parole et de l’écoute et permettre l’apport de contributions pertinentes (Veneziano, 2014). L’enfant participe progressivement aux activités langagières, par le recours à des ressources multimodales et des mouvements spécifiques selon le degré d’implication : co-présence, interaction, attention conjointe, activité (Ninio & Snow, 1996). Son entrée dans le dialogue va lui permettre de développer plus rapidement son langage car il devient un interlocuteur actif et apprend à communiquer. C’est ainsi qu’il va apprendre les normes et usages de sa langue et entrer dans sa culture (Schieffelin & Ochs, 1986). Quand le développement de l’enfant est perturbé, comme c’est le cas dans les troubles du spectre autistique, l’usage de la langue en contexte et la prise en compte d’un interlocuteur, peut être difficile. Les déficits de la communication et des interactions sociales constituent l’une des caractéristiques des troubles du spectre autistique (American Psychiatric Association, 2012). Ils sont observés dans des contextes variés et engendrent des difficultés pour ces personnes à prendre part au dialogue. Les habiletés sociocognitives des enfants autistes sont fragiles, ce qui rend les situations de communication coûteuses cognitivement et les met rapidement en défaut (Plumet, 2014, p. 91). Le langage est utilisé à fins sociales plus réduites que chez les personnes neurotypiques, avec des difficultés à percevoir et à comprendre l’intérêt des échanges conventionnels sociaux ritualisés, ou sortant du cadre précis de la situation. L’objectif de cette communication est d’analyser qualitativement l’extrait d’un échange conversationnel entre une orthophoniste et un garçon de 10 ans avec trouble du spectre autistique. Nous explorerons les facettes de l’espace discursif en construction dans ce dialogue (Salazar Orvig, 1999). Nous partirons de la notion de « common ground » définie par Clark (1996). Dans notre extrait, l’orthophoniste tente d’établir un savoir commun, non pas par co-construction, car l’enfant n’a pas les capacités de participer à ce processus constant et actif de « grounding » (Clark, 1996), mais grâce à un savoir supposé partagé qui pourrait lui permettre de maintenir le dialogue avec l’enfant. Nous verrons que malgré des répliques et acquiescements sociaux qui semblent, dans un premier temps, adaptés et adéquats à la situation de communication, l’enfant apporte une contribution minimale qui freine sa participation au dialogue. Ses acquiescements réguliers montrent une connaissance des stratégies d’alignement (Du Bois et al., 2014), mais sont source de malentendus et de différents de l’intercompréhension. Ces observations pourront être mises en relation avec notre thématique commune de travail portant sur les réactions des enfants autistes à l’étayage offert dans le cadre d’activités langagières et avec notre intérêt pour la méthodologie d’analyse développée par de Weck et Salazar Orvig (2019). Références
Marie Carcassonne Université Paris DauphineIRISSO, UMR 7170 1427A propos de certaines tensions caractérisant les interactions et de certains mouvements discursifs interprétatifs caractérisant des entretiens cliniques de recherche Je dois beaucoup à Anne Salazar Orvig qui m’a initiée à la recherche en dirigeant mon mémoire d’orthophonie (soutenu en 1991) puis introduite auprès de l’équipe ayant recueilli les entretiens de recherche constituant mon corpus de thèse (soutenue en 1997 et dirigée par Frédéric François), puis conseillée pour mener les analyses mais aussi les démarches permettant à l’époque d’obtenir un contrat doctoral. Dit autrement, je connais Anne depuis plus de 30 ans et sans elle, je n’aurais pas eu le même parcours. Je dois aussi plus globalement beaucoup à l’ensemble des membres du Laboratoire d’Etudes sur l’acquisition et la Pathologie du Langage chez l’Enfant (L.E.A.P.L.E., UMR 8696, fondé par Frédéric François et dont Christian Hudelot a pris par la suite la direction) au sein duquel j’ai rédigé ma thèse et auquel je suis restée par la suite longtemps associée. Grâce à eux, j’ai découvert une perspective dialogique et interactionniste du langage, du social et de la cognition (Vygotski, Bakhtine, François, Markova), perspective qui m’a d’emblée enthousiasmée et dans laquelle s’inscrivent l’ensemble des recherches que j’ai réalisées par la suite. Ces dernières questionnent toutes ce qui se passe dans les interactions verbales (qu'est-ce que l'on y fait et que nous font-elles faire ? Comment fonctionnent-elles ?) ainsi que leur rôle dans les processus d’intercompréhension et/ou d’interprétation et/ou d’appropriation des discours et des savoirs, principalement à partir de deux grands types de corpus : des entretiens de recherches comportant une forte dimension biographique (cf. références dans le dernier paragraphe) et des interactions éducatives ou didactiques (entre autres Carcassonne 2012, Carcassonne et Froment, 2012, Carcassonne et Héberlé-Dulouard 2012, Carcassonne et Servel 2009, Carcassonne, Froment et Salagnac 2008). Dans le cadre de cette communication, j’indiquerai d’abord en quoi ces travaux m’amènent aujourd’hui à appréhender les interactions comme des formes de combinaison, toujours renouvelées, de divers processus en tension (par exemple entre un processus socio-historique global et un processus situé et ponctuel,entre une dimension "en puissance", non réalisée, abstraite (norme, attente sociale) et une dimension "concrète" (réalisation effective de l'interaction), entre communauté et différences, entre convergence et divergence interprétative etc.). J’indiquerai ensuite en quoi le phénomène de « mouvement » de « continuité-déplacement » ou « reprise-modification » introduit par Frédéric François (François 1984; 1989, 2006, entre autres) et redéveloppé par Anne Salazar Orvig (1999) peut être considéré comme un phénomène matriciel permettant de résoudre ces différentes tensions et d’accomplir la circulation et le renouvellement des significations, à une échelle pouvant être tout aussi bien locale (interaction située) que socio-historique (interdiscursivité). Je traiterai ensuite plus particulièrement de la tension entre convergence et divergence interprétative, tension mise en évidence de façon lumineuse par Anne Salazar Orvig dans ses travaux explorant le fonctionnement langagier d’entretiens cliniques (Salazar Orvig 1995, 1998, 1999, 2004, 2006, 2008) ; cela m’amènera à interroger la notion d’espace discursif et interprétatif qui est lié à cette tension, en mobilisant les notions d’intersubjectivité (Trevarthen 1982) et d’interobjectivité (Latour, 1994, 1996). En dernier lieu, certains mouvement interprétatifs (repérables parce que mis en mots) dans des extraits d’entretiens cliniques de recherche que j’ai analysés (Carcassonne 2010, 2008) seront comparés à d’autres analysés par Anne Salazar Orvig (Ibid.), ainsi qu’à d’autres concernant des entretiens de recherche non cliniques (Carcassonne 2021, 2017). Cette comparaison permettra de caractériser plus spécifiquement les mouvements discursifs et interprétatifs se déployant dans ces entretiens cliniques de recherche et seront mis en relation avec la finalité de ce type d’entretien ainsi qu’avec le statut des interactants. Ils permettront in fine de caractériser en partie les styles discursifs de ces entretiens ainsi que leur genre. Références
Christine da Silva-Genest1 & Caroline Masson2 1 Université de LorraineDevAH, EA 3450 & ATILF, UMR 71182 Université Sorbonne NouvelleCLESTHIA, EA 7345 & ATILF, UMR 7118“Il est pas gentil le prince de Poucelina ?” : dynamique dialogique de l’étayage dans les dialogues entre adultes et enfants à développement typique et atypique En partant du concept de Zone Proximale de Développement (ZPD) de Vygotski (1933/1997), Bruner a introduit la notion d’étayage (Bruner, 1983; Wood et al., 1976) et l’a défini comme “les moyens grâce auxquels un adulte ou un « spécialiste » vient en aide à quelqu’un qui est moins adulte ou spécialiste que lui ” (Bruner, 1983 : 261). Au-delà de la simple asymétrie - de connaissances, de statut, de compétences langagières, etc. - entre les locuteurs, le soutien apporté doit se situer dans la ZPD du novice en s’adaptant à ses besoins et à la tâche à accomplir. Cela suppose un ajustement minutieux des conduites langagières de l’adulte à celles de l’enfant afin d’atteindre une efficacité dialogique et de ne pas créer un contre-étayage (François, 1993). En effet, l’étayage est ancré dans la dynamique discursive et dialogique du dialogue et ne cible pas uniquement le discours adulte. Ainsi, l’étayage, comme son efficience (da Silva-Genest & Masson, 2017), ne peut s’interpréter que par le prisme des enchaînements entre le discours de l’enfant et celui de l’adulte (Hudelot & Vasseur, 1997) et de leur influence mutuelle (de Weck, 2003). L’objectif de cette communication est de rendre compte de la dynamique dialogique des processus d’étayage (de Weck & Salazar Orvig, 2019), qui se construisent dans les échanges langagiers, et d’en dégager les différentes facettes et effets dialogiques. Pour ce faire, nous proposerons une analyse qualitative des énoncés potentiellement étayants extraits de différents corpus (DIAREF, Salazar Orvig et al., 2021; RaProChe, Masson, à paraître ; EVALANG, da Silva-Genest et al., 2019 ; da Silva, 2014) issus d’interactions adultes-enfants à développement typique et atypique, en situations familiales, éducatives et cliniques. La diversité des situations présentées permettra de rendre compte de l’hétérogénéité discursive des mouvements étayants et de leurs effets sur deux plans. D’une part, les conduites potentiellement étayantes peuvent fournir des modèles de productions verbales sur différents niveaux linguistiques (phonologique, morphosyntaxique ou lexical) à travers des interventions de type reprise-reformulation, des interprétations, etc. D’autre part, certaines conduites des adultes deviennent étayantes dans le dialogue quand elles permettent à l’enfant de poursuivre l’échange et de développer son propos en continuité discursive. Ces conduites sont rarement décrites dans la littérature s’intéressant aux différentes formes de soutien langagier. Pourtant, elles servent de support aux enfants pour poursuivre leur discours et introduire de nouveaux contenus informationnels. Leur fonction communicationnelle et étayante est cruciale et ne peut être observée que par le recours à des données réelles et naturelles (da Silva-Genest & Masson, 2017 ; de Weck & Salazar Orvig, 2019). Loin d’être séparés, ces deux plans peuvent s’imbriquer dans les mouvements discursifs des locuteurs et sont influencés par les situations de communication (familiales vs. cliniques, par exemple) et les activités en cours (activités structurées vs. fonctionnelles). Nous montrerons enfin les apports de l’étude de l’étayage inscrite dans une approche dialogique de l’acquisition (Salazar Orvig, 2017) pour la compréhension des processus développementaux typiques et atypiques qui se construisent à travers, dans et par le dialogue (Marcos et al., 2021). Références
Camille Dupret & Corrado Bellifemine Université Sorbonne NouvelleCLESTHIA, EA 7345L’usage des expressions référentielles et des gestes dans les récits d’enfants : analyse multimodale et multifactorielle Le développement de l’enfant consiste non seulement en l’acquisition des structures linguistiques propres à sa langue, mais aussi en l’évolution des capacités pragmatiques consistant à référer à des objets de discours, qu’il acquiert en dialogue avec l’adulte (Salazar Orvig et al., 2021). Néanmoins, le développement de la référence montre des trajectoires différentes selon les types de discours, les séquences monologales de type récit montrant davantage de difficultés à faire un usage clair des expressions référentielles (Hickmann et al., 2015). En effet, à l’âge des premiers récits, l’enfant construit les chaînes référentielles avec un fort ancrage dans la situation immédiate (De Weck, 1991), et les ressources gestuelles comme les pointages permettent souvent de clarifier les expressions référentielles ambiguës (O’Neill & Holmes, 2002). Aussi, le maniement des formes linguistiques et des gestes varie selon les types de référents et les savoirs partagés avec l’interlocuteur, chez l’enfant comme chez l’adulte (Allen et al., 2015; Colletta et al., 2010; De Weck et al., 2019; Fukumura & van Gompel, 2011). La construction d’un récit se fait ainsi de manière multimodale, car gestes et discours sont étroitement liés et participent tous deux à l’élaboration discursive (McNeill, 1992). L’objectif est d’observer l’usage des expressions référentielles et des gestes par des enfants à développement typique de 7-8 ans, dans deux modalités de récits. Deux groupes de dix enfants ont ainsi été constitués : un premier a été soumis à la narration d’un récit à partir d’un support imagé partagé avec l’adulte, tandis que dans le second groupe les enfants ont dû produire un récit suite au visionnage d’un support vidéo que l’adulte n’avait pas vu. L’ensemble des expressions référentielles et des gestes associés à elles ont été relevés et codés selon le type de forme linguistique utilisée (forte, faible), le type de gestes (déictique, iconique, métadiscursif) et le type de référent (animé, inanimé) pour les deux groupes. Globalement, les enfants privilégient les usages multimodaux des expressions référentielles sur les entités animées. Les données montrent dans les deux groupes une grande sensibilité aux savoirs partagés avec l’adulte. Dans la modalité où l’enfant visualise le stimulus préalablement à son récit, il emploie plus de formes fortes et globalement les expressions référentielles sont davantage associées à des gestes iconiques représentant les actions des personnages. Dans la modalité où le support est partagé avec l’adulte, l’enfant emploie davantage de gestes déictiques associés à des formes faibles s’appuyant sur l’attention conjointe des interlocuteurs sur le support imagé. Ces résultats montrent à quel point l’enfant est sensible au degré de connaissance de l’adulte sur les objets de discours dans le choix des ressources multimodales pour y référer. Références
Michèle Grossen Université de LausanneInstitut de psychologieDe l'interaction au dialogue : un regard psychosocial La psychologie sociale a pour ambition d’articuler l’individuel et le social sans pour autant réduire l’un à l’autre. Elle se lance ainsi un véritable défi que les études sur les interactions sociales ont tenté de relever. Dans un domaine où des situations de résolution de problème, d’apprentissage ou d’entretien, par exemple, sont volontiers dites « individuelles », ces études ont fait surgir l’Autre sous différentes formes. Elles ont mis en évidence les processus de co-construction par lesquels les acteurs construisent des significations partagées, ainsi que certaines formes de discours propices à l’accomplissement de certaines activités. Ces études n’échappent toutefois pas à une forme de réductionnisme social (ou interactionnel) dans la mesure où elles rendent difficilement compte de l’activité psychologique du sujet et de son unicité. Dans ce paysage, le dialogisme, étendu à l’analyse des interactions, constitue un apport essentiel pour la psychologie. En définissant le langage comme un discours vivant « usé » par d’autres, habité par les autres, mais aussi transformé par son usage en contexte, le dialogisme considère l’Autre non seulement comme un être social concret (un « hors soi »), mais comme consubstantiel au langage. Ce faisant, il offre à la psychologie un moyen de penser l’Autre comme constitutif de l’esprit humain. Dans cette perspective, l’ici et maintenant de l’expérience individuelle fait toujours écho à des expériences lointaines (à un ailleurs) impliquant l’Autre. L’individu se situe ainsi à la fois dans l’histoire qu’il trouve et dans celle qu’il crée. Conjugué à la psychologie socioculturelle, et plus particulièrement aux travaux de L. Vygotski et à ceux de G.H. Mead, le dialogisme se révèle fécond pour rendre compte de l’Autre dans la construction de l’identité et dans le fonctionnement même de la pensée. De nombreux exemples tirés de la recherche, mais aussi de la littérature ou de diverses situations quotidiennes, montreront que le dialogisme ouvre la voie vers l’articulation entre l’individuel et le social, et contribue, à sa façon, à relever le défi au cœur de la psychologie sociale.
Stéphane Jullien Université de NeuchâtelInstitut des Sciences LogopédiquesISAAC FrancophonePour une approche dialogique de la Communication Alternative et Améliorée L’accompagnement des personnes présentant un handicap de la communication se propose 1. de diminuer l’intensité du trouble présenté et/ou 2. de limiter les conséquences de cette déficience dans leur contexte social. L’objet de la CAA est ce second objectif, en s‘appuyant sur la nature multimodale de la communication. Les gestes inspirés de la langue des signes, les pictogrammes et les moyens technologiques avec sortie vocale, qui peuvent être utilisés conjointement, favorisent l’expression comme la compréhension. Ces moyens peuvent suppléer complètement la parole ou l’accompagner, afin d’améliorer son intelligibilité (Beukelman & Light, 2020). La CAA favorise le développement du langage et de la communication de l’enfant ou de l’adulte, dans le cadre de troubles développementaux ou acquis. Elle facilite la participation aux interactions dans le contexte social de la personne et limite les obstacles à son autodétermination. Les méthodologies d’implémentation de la CAA s’articulent principalement autour de deux perspectives théoriques, qui peuvent également être utilisées conjointement (Jullien, 2020): 1. L’approche comportementale propose de renforcer la réalisation de comportements verbaux impliqués dans l’accomplissement de différentes fonctions de communication : demandes, refus, transmission d’information… Des guidances, physiques ou verbales, progressivement estompées, entrainent l’initiation autonome de ces comportements verbaux. 2. L’approche socio-développementale (Dodd, 2017), dialogique, stimule l’utilisation des moyens de CAA au fil des interactions sociales et quotidiennes des personnes avec leurs partenaires de communication. Ces derniers : 1. commentent les activités en cours et nomment les éléments du contexte, oralement et à l’aide du ou des moyens, c’est la modélisation, 2. Ils fournissent des opportunités à la personne d’intervenir et 3. reprennent les interventions de la personne, oralement et avec les moyens de CAA, en proposant une expansion. Les partenaires de communication ajustent leur façon d’interagir avec la personne utilisatrice de moyen de CAA. L’accompagnement des partenaires de communication est donc essentiel (Maillart & Fage, 2020). La rétroaction vidéo, proposée dans des approches non spécifiques à la CAA comme le PACT (Pickles et al., 2016), peut être proposée à profit. Des grilles d’observation, remplies régulièrement par les différents partenaires de communication, rendent compte des progrès de la personne dans ses différents contextes sociaux, de l’évolution de la manière d’interagir des partenaires de communication et permettent d’ajuster les interventions. Nous présentons ici un modèle d’intervention. Références
Marine Le Mené Guigourès1 & Stéphanie Caët2 1 Université du Québec à MontréalCRBLM & ISC2 Université de LilleLaboratoire STL, UMR 8163Parler de ce qu’ON fait et co-construire ce que nous sommes : acquisitions en interactions L’acquisition des expressions référentielles et des pronoms en français a fait l’objet de nombreuses études (cf. i.a. da Silva-Genest, Marcos, Salazar Orvig, Caët et Heurdier, 2021) ; toutefois, le pronom ON n’a lui été que très rarement traité de façon spécifique. Les résultats de travaux portant sur l’emploi des pronoms en position sujet qui se sont penchés sur la forme ON (i.a. Hamann, 2002 ; Le Mené, da Silva-Genest et Salazar Orvig, 2021) mettent en évidence des distributions variables de ce pronom dans les productions des jeunes enfants (âgés de 2 ans environ). Ces différences pourraient s’expliquer notamment par la diversité des choix méthodologiques effectués, entre autres : nombre d’enfants inclus, âge de début d’observation des enfants, situations étudiées, méthode d’analyse des données, avec analyse ou non de l’ensemble des expressions référentielles et des formes pré-syntaxiques. Par ailleurs, dans le cas où les productions des parents ont également été considérées, il est apparu que ON représentait environ une forme sur dix en position sujet, et que parallèlement à cela, le pronom NOUS était quasiment absent des données, aussi bien dans le langage des adultes que des enfants. Hors du champ spécifique de l’acquisition, il a largement été montré que le pronom ON a un mode de fonctionnement spécifique, différent des autres pronoms (i.a. Delaborde et Landragin, 2019 ; Landragin et Tanguy, 2014). Ses valeurs ne sont pas déterminées une fois pour toutes dans un discours, ni en fonction du locuteur, ni de la thématique. Au contraire, au gré du contexte et des implications sémantiques, discursives, interactionnelles, ON peut renvoyer à divers référents : le locuteur/énonciateur, l’allocutaire, les interlocuteurs dans un dialogue, une instance générique, voire un référent humain indéterminé. Par suite, ON joue un rôle tout particulier dans le discours des parents adressé aux enfants : dans la lignée des travaux de Rabain-Jamin et Sabeau-Jouannet (1989) sur l’emploi des pronoms dans le langage adressé à l’enfant, Le Mené et al. (2021) ont mis en évidence un emploi préférentiel de ON dans le cadre d’énoncés explicatifs ou ayant pour fonction la transmission de règles (dans lesquels ON a alors une valeur générique : ‘qu'est-c(e) qu'on dit ?’) ou pour inviter l’enfant à participer à une activité (ON réfère alors à l’enfant et à l’adulte : ‘bon alors qu’est-ce qu’on met dedans ?’). Il est également apparu dans les données observées que dans le dialogue, les valeurs des ON produits par l’adulte peuvent être fluctuantes, parfois ambiguës. L’enfant, à l’appui du contexte, notamment discursif, découvre alors la diversité des valeurs possibles de ce pronom. Dans le prolongement de l’étude que nous venons de citer, et dans la continuité de travaux poursuivis en relation avec le projet DIAREF coordonné par Anne Salazar Orvig (i.a. Salazar Orvig et al., 2021), nous interrogerons dans cette communication la manière dont l’usage de ON en dialogue peut servir de passerelle à l’appropriation d’autres formes de référence aux personnes et en particulier à soi et à l’interlocuteur (cf. Morgenstern, 2006 ; Caët, 2013), à l’expérimentation de pratiques discursives variées et à la construction de l’intersubjectivité. Pour ce faire, nous étudierons le déploiement des formes sonores et visuelles, des fonctions pragmatiques et discursives et des activités langagières dans des extraits d’interactions adulte(s)-enfant(s) issus de corpus recueillis dans des situations dyadiques et polyadiques, en famille et en crèche, constitués notamment dans le cadre des projets DIAREF et RaProChe auxquels Anne Salazar Orvig a significativement contribué. Références
Caroline Masson1 & Janina Klein2 1 Université Sorbonne NouvelleCLESTHIA, EA 7345 & ATILF, UMR 71182 Université Sorbonne NouvelleCLESTHIA, EA 7345Expérience communicative en crèche : participation, implication et mouvements dans le dialogue En 1997, le projet de recherche Développement du Langage et de la Communication entre deux et trois ans : influence du mode d’accueil, dirigé par Haydée Marcos, s’est intéressé aux compétences langagières d’enfants entre 2 et 3 ans à travers le prisme de leurs cadres de vie et de leurs différentes situations d’interlocution. Les résultats de cette étude ont mis en évidence que le mode de garde des enfants induisait des variations dans les aspects structurels, fonctionnels et dialogiques de leurs profils de locuteurs (Marcos, Salazar Orvig, Bernicot, Guidetti, Hudelot & Préneron, 2004). Si cette étude ne portait pas spécifiquement sur l’acquisition du langage des enfants gardés en crèche, elle proposait des pistes de réflexion sur les conditions de cet apprentissage en dehors du cadre familial qui sont nettement moins documentées dans la recherche en acquisition (pour les études françaises notamment ; Masson & Bertin, 2021). Les enfants gardés en crèche sont exposés à une variété de formes et d’usages du langage que l’on peut considérer comme complémentaire à l’expérience communicative et langagière (Nelson, 1986, 1996, 2007 ; Rabain-Jamin, 1998 ; Salazar Orvig, 2019) de leurs cadres familiaux. Ainsi, l’implication réitérée dans des échanges à plusieurs permet aux enfants de découvrir les codes sociaux des interactions en groupe et les activités proposées (lectures, jeux pédagogiques, ateliers d’éveil…) enrichissent les expériences de communication et de langage des enfants. Ces enfants sont également plus souvent engagés dans des situations de communication structurées par l’adulte, ce qui a des effets sur leurs conduites dans le dialogue en termes de continuité thématique ou encore d’occupation de l’espace discursif (Salazar Orvig & Hudelot, 2004). Le projet RaProChe (Recherche-action Professionnel·les-Chercheur·es) s’inscrit dans cette lignée scientifique en s’interrogeant sur ce qui constitue l’environnement langagier et l’expérience dialogique des enfants gardés en crèche (Masson, à paraître). La collecte de données qui a lieu dans plusieurs établissements d’accueil du jeune enfant depuis 2019 vise notamment à enrichir les connaissances sur les interactions en crèche et à décrire les modes de transmission du langage et de participation des différents partenaires impliqués. Les travaux amorcés dans ce projet prolongent les réflexions du projet de Marcos et collègues sur les pratiques langagières en crèche et l’influence de celles-ci sur les compétences langagières et dialogiques des enfants. En nous appuyant sur une sous-partie des données du projet Développement du Langage et de la Communication entre deux et trois ans : influence du mode d’accueil et sur le corpus RaProChe, nous examinerons la notion d’expérience communicative à la lumière des formats dans lesquels s’inscrivent les conduites des adultes et des effets de celles-ci sur l’implication des enfants dans le dialogue. Nous mettrons en regard, dans les deux corpus, les profils dialogiques des participants (mouvements dialogiques, places dans le dialogue) pour éclairer les différentes dimensions qui constituent cette expérience communicative. Références
Aliyah Morgenstern Université Sorbonne NouvellePRISMES, EA 4398Dynamique du dialogue adulte-enfant : variations en solo, en duo ou à plusieurs L’enfant goûte au langage, le savoure, le manipule, le forge et le cultive dans ses interactions avec ses interlocuteurs, associées au bain sensoriel qui l’entoure. Elle s’approprie des formes en contexte, les saisit dans leur dynamique et les remet à son tour en mouvement dans le dialogue. Ainsi, « le dialogue n’est pas seulement le contexte dans lequel ses compétences langagières sont acquises mais il constitue le principal moteur et la source de son acquisition du langage » (Salazar Orvig & Morgenstern, 2015 : 156). Mais si le dialogue est à la fois le support et le substrat (d’après Boutet 2018) de l’entrée de l’enfant dans le langage, il se joue et se rejoue avec des variations multiples (Bakhtin, 1986) et plurisémiotiques, en solo, en duo ou à plusieurs. Nous tâcherons de montrer l’importance des formats changeants que prend le dialogue quand il se produit non seulement dans la dyade adulte-enfant, mais résonne également en solitaire ou s’anime dans des interactions multipartites. Tout au long de cette présentation, nous nous centrerons sur l’orchestration subtile des ressources sémiotiques progressivement maîtrisées en contexte en fonction de l’âge et des compétences cognitives, discursives et pragmatiques des enfants. Par le biais des exemples recueillis lors des projets ANR Léonard, CoLaJE, Diaref et Dinlang et dans le projet IDEX Monologuer, nous retracerons le rôle du langage multimodal adressé à l’enfant, de l’étayage adulte et de la dynamique dialogique des pratiques langagières situées. Nous chercherons à illustrer comment l’enfant internalise (Vygotsky, 1934) le dialogue dans des formats (Bruner, 1983, 1984) qui se rejouent dans ses jeux de langage (Wittgenstein, 1953) en monologue (Bourdoux, & Morgenstern, sous presse). Le langage n’aurait sans doute pas pu atteindre le même degré de développement dans chacune de nos communautés si chaque sujet parlant ne l’exerçait en solo en répliquant, reformulant, révisant, expérimentant toutes ses facettes apprises en interaction avec des adultes ou enfants plus âgés et plus experts. Mais ces « gammes de dialogue » sont également enrichies par les interactions polyadiques. La plupart des études écologiques sur le développement du langage dans les pays occidentaux se concentrent sur la communication dyadique (Tomasello, 1988). Mais la critique du modèle dyadique initiée par Goffman (1974) et les études interculturelles, suggèrent que les enfants du monde entier apprennent également le langage dans le cadre d'interactions multipartites (Ochs & Schieffelin, 1984). Nous analyserons donc les pratiques dialogiques dans des rituels propices à la transmission langagière et à la polyphonie : les diners familiaux. Le flux dialogique est d'autant plus complexe qu'il prend en compte le sens co-construit dans les différents cadres participatifs qui se chevauchent et qui sont créés tout au long du dîner entre les participants dont les productions s'entremêlent, se coordonnent, s'ajustent, pendant qu'ils mangent. C’est grâce à ces variations dans les dynamiques des dialogues qui se jouent et se nouent autour d’elle et avec elle que l’enfant apprend à faire sonner et résonner sa propre « voix ». Références
Stefano Rezzonico École d’Orthophonie et Audiologie, Université de MontréalCentre de recherche interdisciplinaire en réadaptation du Montréal métropolitainInstitut Universitaire sur la réadaptation en déficience physique de Montréal, CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-MontréalLe potentiel des devinettes par indices pour l’évaluation cliniquede l’utilisation du langage Depuis plus de 30 ans, les défis de l’évaluation clinique de la pragmatique sont notoires. Bishop et Adams (1991) ont explicité à quel point il n’est pas possible de mesure l’utilisation du langage en contexte dans le contexte d’évaluation formelle traditionnelle, qui, par définition, modifie le contexte afin de garantir une standardisation de la passation. Cette lacune a été compensée en utilisant des questionnaires remplis par les personnes qui côtoient les enfants dans leurs milieux de vie (ex. : Children’s Communication Checklist-2, Bishop, 2006; Language Use Inventory, O’Neill, 2009). Si les informations obtenues par les questionnaires parentaux ont de bonnes caractéristiques psychométriques et peuvent contribuer en partie au raisonnement clinique en vue d’émettre une conclusion orthophonique, les clinicien·ne·s ont besoin davantage d’informations pour dresser un profil complet des forces et des faiblesses des enfants et produire un plan d’intervention pertinent. De plus, il n’est pas très clair dans la littérature si ces outils pouvaient être assez sensibles pour documenter un changement après une intervention. Dans le cadre du dépistage/diagnostic des troubles du spectre de l’autisme, des observations semi-écologiques et standardisées ont fait leur apparition depuis quelques années. Ainsi, des mesures comme l’ADOS-2 (Lord et al., 2012) et en partie le Yale in Vivo Pragmatic Protocol (Simmons, Paul et Volkmar, 2014) sont des procédés qui ont pu être implantés de manière assez stable dans les pratiques cliniques en Amérique du Nord. Plus récemment des tâches semi-structurées ont fait leur apparition (ex. : CELF-5, Wing, Semel et Secord, 2013). Ces tâches sont des activités sémi-écologiques avec un canevas assez vague pour ne pas rentrer dans une situation stéréotypée et assez stricte pour garantir une certaine stabilité dans la passation. Par ailleurs, ces tâches semblent également être les techniques qui présentent le plus grand potentiel d’inclusivité (Dionne, Hussein, Trudeau et Rezzonico, en préparation). Par exemple, le « Jeu du village » élaboré par l’équipe d’Audette Sylvestre présente un jeu symbolique avec des étapes obligatoires qui permet à la fois d’obtenir des informations sur les mesures linguistiques (Sylvestre et al., 2020) que des mesures pragmatiques, en particulier les intentions de communication pertinentes pour des enfants d’âge préscolaire. Cependant, certains aspects comme l’adéquation de l’information donnée et les stratégies d’adaptation des enfants ne sont pas observables directement avec les tâches existantes. Les recherches de l’équipe de Salazar Orvig et de Weck ont montré qu’une tâche de devinette par indices aurait le potentiel pour observer ces aspects (de Weck et Marro, 2010; Salazar Orvig, de Weck, Basselier et Henry, 2007 et rapports projets « Interactions mère-enfant en situation logopédique », dir. G. de Weck et A. Salazar Orvig, 2006-2011). Dans cette présentation nous présenterons les étapes d’adaptation de cette tâche pour en faciliter l’implantation dans les milieux cliniques. Cette présentation décrira le processus de co-construction avec des clinicien·ne·s avec l’objectif, la série d’études qui ont exploré les caractéristiques de cette activité ainsi que les résultats préliminaires d’une technique d’analyse à l’aide d’une échelle visuelle analogique (Rezzonico, Dionne, Hussein et al., en préparation). Références
Sarah Teveny1 & Simon Sundström2 1 Université Sorbonne NouvelleCLESTHIA, EA 73452 University of OsloEducational Sciences Faculty, Department of Special Needs EducationAnalyses et perspectives interlangues sur l’acquisition des morphèmes portant la définitude chez des enfants sourds moyens Les enfants atteints de pertes auditives moyennes et congénitales ont un risque accru de développer un retard de langage à l’oral, ayant des répercussions à la fois sur la phonologie et sur la morphologie (Briscoe et al, 2001 ; Norbury et al., 2001). Bien que peu étudié, ce retard a été observé dans différentes langues dont le français (Tuller & Delage 2013) et le suédois (Hansson et al., 2004 ; Sundström et al., 2018), et à différents âges : chez des enfants de moins de cinq ans (Moeller et al., 2010) comme chez des adolescents de quinze ans (Tuller, 2010). Ce retard se caractérise par des transformations persistantes des formes en cours d’acquisition comme les morphèmes grammaticaux, qui, à six ans, lorsqu’ils sont inaccentués et qu’ils ne reproduisent pas le schéma accentuel majoritaire de la langue restent plus souvent omis que les autres (Borg et al., 2007). Certaines études montrent également que l’influence combinée de la complexité phonologique et morphologique contenue dans certains morphèmes, les rendent plus difficiles à acquérir par cette population (McGukian & Henry, 2007 ; Stelmachowitcz et al., 2001, 2002). Le but de cette étude était d’explorer la production de morphèmes grammaticaux attachés aux noms produits par des enfants sourds moyens suédophones et francophones, en faisant l’hypothèse qu’une comparaison des difficultés rencontrées par des locuteurs de ces deux langues pourrait nous éclairer sur les mécanismes qui relient la prosodie, la phonologie et la morphologie dans leurs productions. Les participants étaient regroupés en deux cohortes, la première constituée de neuf enfants suédophones âgés de 5;0 ans et atteints en moyenne de 45,6 dB de pertes ; la seconde constituée de treize enfants sourds francophones âgés de 5;2 et atteints en moyenne de 47,1 dB de pertes. Les différences d’âges et de pertes auditives ne constituaient pas une différence significative. Tous les enfants étaient porteurs d’appareils auditifs conventionnels. Les enfants ont été enregistrés dans des activités semi-spontanées autour de livres, en interaction avec leur parent ou leur orthophoniste. Leurs productions ont fait l’objet d’analyses phonologiques et morphosyntaxiques. Les analyses phonologiques portaient sur les mots lexicaux et ont été réalisées à l’aide de PHON (Hedlund & Rose, 2020). Les analyses morphologiques ont porté sur des éléments fonctionnels comparables comme les morphèmes porteurs de genre, de nombre et de définitude. Les productions des enfants ont été comparées à leur cible supposée sur le plan phonologique, morphologique et pragmatique, soit la similarité à une forme adulte, la cohérence avec le genre et le nombre du nom et l’adéquation avec le contexte pragmatique (Salazar Orvig et al., 2013). Les résultats montrent des difficultés communes aux deux groupes, ainsi que des difficultés spécifiques. Par exemple, l’acquisition de la définitude semble être également difficile pour les enfants des deux cohortes. Pourtant, en suédois, où une partie des morphèmes définis est postposée alors que les morphèmes indéfinis sont préposés, on voit une augmentation des transformations en position prénominale, qui peut s’expliquer par des difficultés syntaxiques ou prosodiques. En français, où la position du morphème est stable, elle se traduit par des transformations plus fréquentes des formes ayant une complexité phonologique. Ainsi, les difficultés prosodiques, phonologiques et morphologiques nous permettrons d’entrevoir les effets d’une altération de perception sur l’acquisition des morphèmes grammaticaux des deux langues, tant dans leurs similarités que dans leurs différences. Références
Edy Veneziano Université Paris Cité & CNRSLPPS, UR 4057 & MoDyCo, UMR 7114 Conversation et narration : quand les réponses des enfants ne nous ‘racontent pas toute l’histoire’ Cette contribution rend hommage aux marquants travaux de Anne Salazar Orvig concernant l’importance de la conversation dans l’acquisition du langage et les compétences narratives des enfants en se reliant au thème des conduites explicatives (abordé dans notre ouvrage commun, Hudelot, Salazar Orvig & Veneziano, 2008) et à la méthode d’intervention développée dans le cadre du projet Cognitique (2002 - 2005) dans lequel nous avons été les deux engagées avec d’autres collègues et amis (Laval, 2005). Je vais d’abord présenter brièvement les effets de la conversation, à laquelle participe l’enfant entre deux narrations de la même histoire, sur la mise en langage des aspects inférentiels de l’histoire (explications, états internes simples et complexes comme la fausse croyance de deuxième degré). Ces effets ont été largement démontrés dans différentes études qui ont également mis en évidence la contribution spécifique de la conversation par rapport à la sole répétition de l’histoire e. ainsi que la persistance des effets à plus long terme (par ex. Veneziano, 2010, 2016 ; Veneziano & Hudelot, 2009 ; Veneziano et al., 2020). Ayant bien établi ces effets, nous avons commencé à étudier ce qu’il se passe pendant la conversation en relation avec les narrations produites après, pour essayer de comprendre comment les enfants arrivent à montrer, après la conversation, des comportements qu’ils n’arrivaient pas à montrer avant celle-ci (Veneziano, 2019). En comparant la mise en langage des mêmes éléments inférentiels pendant la conversation et dans la narration monologale produite après (NAR2) , les résultats ont mis en évidence quatre cas de figure. L’élément inférentiel est exprimé : 1. pendant la conversation et aussi dans la NAR2 (+ ; +) ; 2. ni pendant la conversation ni dans la NAR2 (- : -) ; 3. pendant la conversation mais pas dans la NAR2 (+ ; –) ; 4. pas pendant la conversation mais dans la NAR2 (– ; +) . La signification théorique de chaque cas sera discutée, avec attention particulière pour les cas de figure asymétriques 3 et 4. En effet, ces cas sont très instructifs dans la mesure où ils nous invitent à ne pas tirer des conclusions hâtives sur la signification d’une réponse attendue, d’une non réponse ou d’une réponse considérée incorrecte. Ces cas, même si pas très nombreux, nous amènent à penser que pas toute réponse correcte signale une maitrise, et que pas toute non réponse ou toute réponse considérée incorrecte est un signal négatif. S’il reste valable de penser que ‘au début il y a la réponse’ –comme l’a argumenté Piaget (1967) – celle-ci peut prendre du temps avant de se manifester pleinement après que la réflexion est déclenchée par l’intervention bien conçue de la part du partenaire conversationnel. Références
Elise Vinel Université Paris 8 - Vincennes-Saint-DenisCirceft-Escol, EA 4384Le dialogue scolaire : de l’analyse linguistique et langagière à l’analyse cognitivolangagière et socioculturelle des échanges en classe lors de la lecture d’un album sans texte Les échanges langagiers, qui sont très présents dans les classes du fait de l’influence des théories socioconstructivistes (Bruner, 1983 ; Vygoski, 1934/1985) ou du conflit sociocognitif (Doise & Mugny, 1981), se caractérisent par leur très grande hétérogénéité du point de vue de la construction des savoirs et des discours en jeu (Bautier, 2016). Ces échanges, pris dans leur dimension dialogique, permettent la construction de significations (Bakhtine, 1984 ; Bres, 2005 ; François, 1990 ; Salazar Orvig, 1999) qui peuvent s’avérer, selon les caractéristiques socioculturelles des élèves, très diverses et très inégalement efficaces notamment pour s’approprier les savoirs attendus à l’école (Delarue-Breton & Bautier, 2015). Si ces échanges langagiers peuvent être analysés du point de vue des caractéristiques linguistiques et langagières des élèves et de l’enseignant (nature des interventions verbales notamment des questions posées aux élèves, et des réponses qui y sont apportées, nature de l’étayage, mise en mots des discours produits et notamment la désignation des « objets » principaux, types de discours employés…), la spécificité contextuelle des échanges scolaires à visée d’apprentissages disciplinaires conduit à élaborer de nouvelles catégories de descriptions permettant d’analyser le travail simultanément cognitif et langagier à l’œuvre dans ces situations. Il s’agit alors d’analyser en quoi la dynamique des échanges à travers ces productions langagières engage l’activité cognitive et langagière des élèves (ces verbalisations permettent-elles aux élèves de construire du sens et une activité réflexive ?). Nous nous situons toujours dans une logique d’analyse de l’acquisition mais en travaillant dans une logique de description des inégalités langagières scolaires, la question qui se pose alors est celle de l’acquisition pour une partie des élèves de nouveaux usages du langage nécessaires aux apprentissages. Dans cette perspective et en écho à nos premiers travaux sur la lecture familiale et scolaire que nous développerons, nous mettrons au jour un autre type d’analyse des pratiques de lecture différenciées en fonction des milieux sociaux. En effet, selon leur mode de socialisation langagière familiale, les enfants ont une plus ou moins grande expérience des lectures d’histoires (Bonnéry, 2015). Certains enfants peuvent alors être familiers des manières de lire à l’école, quand d’autres peuvent en être éloignés et nécessitent d’acquérir ces nouveaux usages. Ainsi, même si, en apparence au moins, les enfants réalisent avec leurs différents interlocuteurs la même activité, ils ne sont pas dans la même activité cognitive, dans les mêmes « jeux de langage ». Dans ce cadre, notre exposé sera développé en deux temps : dans un premier temps nous reviendrons sur les catégories d’analyse travaillées à partir du premier corpus des lectures familiales et scolaires et, dans un second temps, nous présenterons les nouvelles catégories qui complètent les premières et qui permettent d’analyser l’acquisition (ou non) de nouveaux usages en situation scolaire d’apprentissages disciplinaires. Nous montrerons ainsi qu’il ne suffit pas de placer dans la classe les élèves en situation de dialogue pour qu’ils construisent des significations et qu’ils acquièrent des usages cognitifs du langage, des usages donc du langage à visée d’apprentissages qui mobilisent des activités cognitives complexes (Vinel & Bautier, 2020). Références
Geneviève de Weck Université de NeuchâtelInstitut des Sciences LogopédiquesConstruction du discours et dialogue avec des enfants dysphasiques : rôle des activités et des conditions d’interlocution Durant l’acquisition du langage, les enfants sont confrontés à une grande variété de situations d’interaction au cours desquelles ils effectuent diverses activités concrètes avec leur entourage, tout en co-construisant des discours dans le dialogue avec un ensemble d’interlocuteurs, en particulier avec leur mère. C’est dans cette diversité de situations qu’ils sont exposés aux usages de la langue et que progressivement ils les acquièrent. Toutefois, certains enfants peuvent présenter différentes difficultés dans cette acquisition, dont certaines sont regroupées sous l’expression de troubles du développement du langage (ou dysphasie ; TDL par la suite). Dans cette conférence, nous montrerons la façon dont les notions d’activité, de discours et de dialogue s’articulent dans une conception interactionniste du développement du langage (Bronckart, 1996 ; Bruner, 1983 ; Vygotski, 1934/1985) et de ses troubles (de Weck & Rosat, 2003). Dans cette perspective, les enfants n’acquièrent pas les différents éléments de la langue (lexique, syntaxe, etc.) et leurs usages indépendamment des genres de discours (Dolz, Pasquier & Bronckart, 1993 ; de Weck, 2005) et des conditions d’interlocution (François, 1993 ; Salazar Orvig, 2017 ; Tomasello, 2003 ; Veneziano, 1999). Plus précisément, il s’agira de mettre en évidence l’influence de l’activité en cours sur les conduites discursives et dialogiques de dyades mère-enfant présentant des TDL et de dyades mère-enfant au développement typique du langage. Nous nous appuierons pour cela sur différents travaux communs réalisés par Anne Salazar Orvig et son équipe, et par nous-mêmes et notre équipe, durant une quinzaine d’années, principalement dans le cadre de deux programmes de recherche (« Interactions mère-enfant en situation logopédique » et « Acquisition des expressions référentielles en dialogue : une approche multidimensionnelle » - DIAREF). En ce qui concerne le rôle de l’activité, nous présenterons trois domaines qui illustrent cette influence sur des aspects très différents des conduites langagières. D’une part, les conduites non-verbales de mères et d’enfants (4 à 7 ans) seront analysées en fonction de leur nature (types de gestes pertinents) et de leur relation avec les productions verbales des participants dans deux activités différentes (jeu de devinettes et lecture conjointe d’un livre). D’autre part, dans le domaine des unités linguistiques, nous nous centrerons sur l’usage des expressions référentielles et les variations de ces usages selon l’activité, variations qui se manifestent très tôt chez l’enfant. Enfin, le troisième aspect, qui sera davantage développé, concerne l’étayage que les mères fournissent à leur enfant pour les soutenir dans leur participation à l’activité en cours. En nous basant sur la distinction que nous avons proposée (de Weck & Salazar Orvig, 2019), nous montrerons que selon les besoins cet étayage prend la forme d’un soutien à la réalisation de la tâche même ou d’un soutien à la production verbale de l’enfant. A nouveau, des différences s’observent selon l’activité en cours. Quant au rôle des conditions d’interlocution, il sera examiné sous l’angle de l’emploi des expressions référentielles par de jeunes femmes racontant une histoire, les unes à leur enfant et les autres à l’expérimentateur. Cette comparaison, prolongeant les réflexions sur l’éltayage, permettra de discuter des modèles de la référence offerts par les mères à leurs jeunes enfants, et plus largement de revenir sur des considérations générales inhérentes à une perspective interactionniste et dialogique du développement des capacités langagières. Références
Naomi Yamaguchi1 & Tiphanie Bertin2 1 Université Sorbonne NouvelleLaboratoire de Phonétique et Phonologie, UMR 70182 Université Sorbonne NouvelleCLESTHIA, EA 7345Parler à plusieurs en crèche : les reprises, co-construction du sens et expérimentation des formes langagières Le rôle des interactions adulte-enfant dans l’acquisition du langage est décrit depuis longtemps, notamment par les théories socio-interactionnistes (Bruner, 1983; Tomasello, 2003). Des adaptations aux capacités estimées des enfants, plus ou moins étayantes, sont décrites chez les parents en contexte familial (De Pontonx et al., 2017; De Weck & Salazar Orvig, 2019) mais également chez les professionnel·les dans le cadre de l’accueil collectif (Degotardi, 2010; Girolametto et al. 2002). Parmi les modalités interactionnelles observées dans les échanges individuels adulte-enfant, la reprise par l’adulte est une des pratiques langagières décrite par de nombreux auteurs comme étant soutenante pour l’acquisition du langage (Bertin, Masson, 2021; Clark, 2014; Veneziano, 2005). Nous comprenons par “reprise” tout énoncé produit à la suite d’un énoncé antérieur, et partageant des éléments de contenu et de forme. Notre objectif dans cette étude est de décrire le fonctionnement et les effets de la reprise par l’adulte dans les dialogues adulte-enfant dans le contexte d’accueil collectif où les échanges sont souvent polyadiques . Nous cherchons ainsi à éclairer la question suivante : dans quelle mesure les reprises concourent à une co-construction du sens et du discours à plusieurs, et constituent des espaces de tâtonnements formels sur la langue (en particulier pour les dimensions phonologique et morphosyntaxique, ainsi que leur imbrication), dans ces structures d’accueil collectifs présentant une multiplicité de configuration de situations d’interaction, et où les interactions duelles sont rares ? Nos analyses se développeront sur quatre axes : la configuration des reprises (à deux, à plusieurs), les élément(s) concerné(s) par la reprise (éléments phonologiques, morphologiques, ou mixtes), la catégorisation des reprises (identiques ou non, temporalité, empan, forme, usage, etc.) et les effets de ces reprises sur les productions langagières des enfants présents dans la situation d’interaction. Nos données sont issues de vidéos recueillies en structure d’accueil petite enfance dans les sections des moyens et des grands dans le cadre du projet RaProChe. Nous produirons une analyse quantitative et qualitative de séquences interactionnelles, en nous focalisant sur des situations où l’interaction se fait autour d’un objet commun. Cela nous mènera à discuter de la spécificité et des apports de ces reprises sur le développement des caractéristiques formelles du langage chez l’enfant, en les rapprochant des effets des reprises sur le dialogue et l’interaction (Bernicot et al., 2006). Références
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